1 Décembre 2016
Dans ses mémoires, le capitaine Desvernois nous raconte :
"En octobre 1798, Bonaparte alla explorer la côte de la mer rouge vers Suez...
Lors de ce voyage, il rencontra une caravane escortée par des hommes montés sur des dromadaires.
Etonné de l'adresse des conducteurs non moins que de l'agilité des bêtes, il en fit conduire par Eugène de Beauharnais et Edouard Colbert, deux officiers de son état-major.
Lançant ensuite son cheval au galop, il essaya de les atteindre, mais en vain.
Satisfait de cet essai et pensant qu'une armée montée sur des coursiers aussi rapides et aussi nombreux, en Syrie et en Egypte, du moins; pourrait facilement parvenir en Inde, il décida, aussitôt de retour au Caire, la formation d'un régiment de dromadaires : les hommes étaient recrutés parmi les soldats de bonne volonté des demi-brigades.
Plus tard, ce fut une grande faveur d'être admis dans ce corps. Il s'était illustré par des coups de main hardis, tentés à 100Km au milieu du désert, pour surprendre les Bédouins et les soumettre à la France.
On l'augmenta peu à peu après en avoir connu la valeur : les bêtes étaient admirablement dressées, manoeuvraient avec précision, faisant 20 lieues par jour, mangeant, buvant à peine...
Dans les expéditions contre les tribus nomades où, pressés par le nombre, les cavaliers-dromadaires étaient dans la nécessité de s'arrêter pour combattre, ils se formaient aussitôt en carré et à leur voix, leurs chameaux s'agenouillaient. Ils s'en servaient alors comme un retranchement : la bosse leur était un point d'appui pour bien ajuster et bien tirer.
Les Bédouins mis en fuite, les cavaliers remontaient sur leurs chameaux et continuaient leur route, marchant tantôt en bataille, tantôt en colonne, par peloton."
L'anecdote est sympathique, mais la nature des combats d'escarmouches, l'aridité du désert, la nécessité de traîner l'artillerie, le matériel militaire, d'avoir des montures infatigables et sobres, tout concourrait à utiliser les dromadaires.
Par décret du 9 janvier 1799, Bonaparte crée le Régiment des Dromadaires sur le principe des Dragons, à savoir de l'infanterie montée.
Le 9 juillet 1799, le sous-officier François passe de la 9ème Demi-brigade au régiment des dromadaires en tant que maréchal des logis chef.
Il participe à la bataille d'Aboukir :
" Nos colonnes pressent les Turcs et les acculent entre la mer et la cavalerie et nous, dromadaires, dont une partie avait mis pied à terre.
Le carnage devient affreux, et ces misérables, ignorant les lois de la civilisation établies dans la guerre, ne songent nullement à demander grâce.
Nous nous voyons dans la nécessité de les égorger et de les jeter à la mer, où la cavalerie et nous, dromadaires, nous les poursuivons jusqu'à ce qu'ils soient tous noyés."
Les dromadaires sont souvent utilisés pour porter des ordres, des courriers.
Reprenons le récit de François :
"Dans la première quinzaine du mois de septembre, je fus détaché comme ordonnance à Alexandrie, à Siout, Corsieh, Thèbes.
Ces courses sont longues, mais avec nos dromadaires nous pouvions faire jusqu'à trente lieues en 24 H. Mais j'étais très fatigué à cause du trot de ma monture.
L'allure de ces animaux occasionne parfois des crachements de sang et des maladies de poitrine."
Le 24 octobre, avec la brigade Desaix, il participe à la poursuite des mamelouks de Mouad-Bey :
"Le lendemain nous arrivâmes auprès des frontières de Fayoum, où nous trouvâmes Mourad-Bey. Ce dernier, voyant s'avancer ce nouveau genre de cavaliers, crut qu'il allait nous écraser.
Nous mettons pied à terre, nous disposons nos dromadaires en carré, nous plaçant en dedans de ces retranchements vivants.
Les mamelouks nous chargent en hurlant ; nous les attendons à 10 pas, et nous exécutons un feu de file si bien nourri, que les mamelouks ne peuvent arriver à nous et éprouvent une grande perte.
Ils fuient et renoncent à leur entreprise.
Plus de 100 hommes, parmi les ennemis, tombèrent morts et blessés, sans compter les chevaux.
Remontés sur nos dromadaires, nous nous sommes mis à la poursuite de l'ennemi."
Mais le régiment est aussi employé à des tâches d'escorte :
" Le 15 novembre 1800 je partis avec 150 dromadaires, commandés par le chef d'escadron Brun du régiment, pour escorter les savants (Bertholet, Monge, Denon, etc...), qui se dirigeaient vers la Haute-Egypte et tentant des recherches dans cette région.
Nous remontâmes la Haute-Egypte en passant par Siout, Tinch, Thèbes, qui est rempli d'antiquités, le Saïd, le lac d'Eléphantine, où je vis des crocodiles sur la rive gauche du Nil.
Puis ce furent des cataractes, les frontières de l'Abyssinie, le royaume de Darfour, par le grand désert du Sahara..;
Après un mois de voyage et de recherches, nous rentrâmes au Caire ".
Le 24 juin François est envoyé en parlementaire :
"A 8H. du matin, je partis avec 25 dromadaires, y compris le trompette porteur du drapeau blanc escortant le capitaine Millet.
Nous sortîmes par la porte de la Victoire, pour nous rendre au quartier général anglais...
Arrivés au cimetière, près des ruines de El-Koubeh, nous fûmes assaillis par une nuée de cavaliers turcs, qui s'étaient cachés derrière les tombeaux.
Ils nous entourèrent en hurlant et tombèrent sur nous malgré le drapeau blanc que portait le trompette qui fit crier par l'interprète : "Parlementaire !"
Le trompette fut tué, et en moins de 6 minutes nous fûmes tous renversés de nos dromadaires, foulés aux pieds des chevaux de ces barbares, et la moitié du détachement tué ou blessé.
Le capitaine fut du nombre. La fusillade fit accourir d'autres bandes de ces brigands ; un détachement anglais arriva, reconnut un parlementaire par le drapeau blanc qu'un brigand emportait.
L'officier qui commandait le détachement anglais fit cesser le carnage et eut beaucoup de peine à y parvenir, quoique secondé par des officiers turcs de l'armée du Grand Vizir.
Cette mêlée cessa.
Les Turcs, reconnaissant leur faute, se sauvèrent en emportant plusieurs têtes et en m'entraînant avec eux, ainsi que deux hommes de mon détachement."
François est conduit à Alep où il rentre au service de l'émir Pachalik d'Andrinople.
Il finira par rejoindre la France et reprendre du service dans l'armée.
Extraits des mémoires du baron Desvernois et du capitaine François